La menace de Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers de 25 % aux produits canadiens — combinée à son dénigrement de la souveraineté canadienne, y compris sa récente menace de prendre le pays « par la force économique » – inquiètent les Canadiens — à raison.
Malheureusement, les premières réactions du gouvernement fédéral face à Trump 2.0 n’ont pas inspiré confiance.

Le ton a été donné avec ce que le stratège libéral de longue date Peter Donolo a qualifié de « pèlerinage paniqué — et dégradant - » du premier ministre sortant Justin Trudeau à Mar-a-Lago.
Les mesures frontalières du gouvernement (1,3 milliard de dollars) — y compris « une force opérationnelle de renseignement aérien avec plus d’hélicoptères et de drones » et une « force de frappe conjointe nord-américaine » pour lutter contre le crime organisé — sont, dans un sens, encore pires : des réponses à des problèmes qui n’existent que dans l’imagination enfiévrée de Donald Trump.
Le déficit commercial, une source d’inquiétude
Les affirmations de Trump concernant l’immigration illégale (en hausse ces dernières années, mais bien en deçà des niveaux observés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique) et les importations de fentanyl (moins de 20 kilogrammes en 2023) interceptés par les États-Unis à leur frontière septentrionale) sont ridicules. Les autorités canadiennes le savent.
Le véritable problème de Trump est le déficit commercial des États-Unis avec le Canada.
Ces politiques frontalières sont problématiques en elles-mêmes. Mais elles ne permettront pas non plus d’acheter la paix, car il ne s’agit pas d’une question politique, mais d’un exercice de domination pour le plaisir de dominer.

Qu’est-ce qui sera sacrifié ?
L’apaisement — déterminer le prix de Trump et le payer — ne fonctionnera pas. Que sacrifiera un gouvernement libéral ou conservateur au nom du maintien de l’ouverture de la frontière au commerce ? Jusqu’où peut-on aller ?
Une politique d’apaisement empoisonnera également l’exercice démocratique. Pour chaque politique et loi adoptées, les Canadiens se demanderont si leurs gouvernements agissent dans l’intérêt des Canadiens ou dans celui de Trump.
Tel est le dilemme politique peu enviable du Canada pour au moins les quatre prochaines années : comment faire face à des États-Unis de plus en plus hostiles tout en agissant, et en étant perçu comme agissant, dans le meilleur intérêt du Canada.

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Les élus canadiens doivent tracer et reconnaître les limites entre l’intérêt national et les risques qu’une politique d’apaisement n’aille à l’encontre de la souveraineté.
Heureusement, l’histoire fournit quelques indications. Ce n’est pas la première fois que les États-Unis représentent une menace économique existentielle pour le Canada. Deux crises en particulier, survenues à 136 ans d’intervalle, offrent des enseignements importants pour les quatre prochaines années, et même au-delà.
Première leçon : toujours avoir un plan
Notre première leçon : avoir les bonnes réponses aux problèmes existants.
Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis ont changé la perception des Américains de leurs deux frontières. La sécurité est ainsi devenue une préoccupation majeure, supplantant l’idéologie alors dominante en faveur de l’ouverture des frontières et du commerce transfrontalier.
La menace pour l’économie canadienne était aussi claire à l’époque qu’elle l’est aujourd’hui. Tout à coup, les États-Unis ont exigé de leurs deux voisins qu’ils agissent au sujet de la frontière. Seul problème : les Américains n’avaient pas de plan, car, ironiquement, ils n’avaient jamais accordé beaucoup d’attention à l’infrastructure frontalière.

Heureusement pour le Canada, les autorités canadiennes réfléchissaient depuis longtemps à la manière de moderniser la frontière et poussaient les États-Unis à prendre la sécurité frontalière au sérieux. Par conséquent, lorsque les États-Unis ont redécouvert leur frontière septentrionale, le Canada avait une politique prête à être déployée.
L’accord qui en a résulté répondait à la fois aux intérêts économiques du Canada et à ceux des États-Unis en matière de sécurité. Les éléments clés de l’accord reposaient sur des propositions que le Canada défendait depuis des années.
Le gouvernement fédéral a bien réagi au choc du 11 septembre parce qu’il avait des politiques prêtes à être mises en œuvre en cas de besoin. Les libéraux au pouvoir se sont chargés de la planification, faisant alors de l’intérêt national leur priorité.
Les économies canadienne et américaine sont aussi imbriquées qu’elles l’étaient en 2001 — voire plus. Cela signifie que les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada doivent développer des politiques exemptes d'improvisation. Les réponses aux demandes imminentes des États-Unis seront ainsi faites dans le meilleur intérêt du pays.
Deuxième leçon : se concentrer sur le front intérieur
Deuxième leçon : regarder à l’est, à l’ouest et au nord, mais pas au sud.
Comme je l’ai déjà dit, l’interdépendance entre le Canada et les États-Unis, qui était autrefois notre plus grande force, s’est transformée en vulnérabilité.
Mais, encore une fois, nous sommes déjà passés par là.
En 1866, les États-Unis ont abrogé le traité de réciprocité canado-américain avec l’Amérique du Nord britannique. À l’époque, comme aujourd’hui, l’économie américaine exerçait une forte attraction sur les colonies britanniques du nord.
Mais cette attraction n’est pas un phénomène naturel. Elle est régie par des lois et des traités. Les flux commerciaux, incertains, peuvent être interrompus. C’est justement une telle interruption qui a en partie incité les dirigeants politiques canadiens à s’unir dans la Confédération, conduisant à la naissance du Canada.
La menace tarifaire de Trump, tout comme les événements de 1866, devraient rappeler aux Canadiens que l’accès au marché américain peut être entravé, voire supprimé. Il ne peut jamais être garanti à 100 %. Aujourd’hui, comme il l’a fait il y a plus de 150 ans, le Canada doit réinvestir dans la construction de liens économiques, politiques et culturels transcanadiens.
Les domaines particulièrement importants sont l’énergie — 70 % du gaz naturel de l’Ontario en 2023 provenait des États-Unis, la fabrication et le commerce intérieur.

Une voie à suivre
Pour les élus canadiens, ces leçons d’histoire offrent des perspectives intéressantes pour l’avenir. Pour les citoyens, elles constituent un point de référence pour juger les relations de nos gouvernements avec les États-Unis.
Il faut s’assurer que nos propositions visant à répondre aux préoccupations des États-Unis soient bien planifiées et qu’elles promeuvent les intérêts canadiens. Et que les gouvernements renforcent les liens interrégionaux.
Suivre ces deux leçons exigera un niveau de planification que les Canadiens n’ont pas connu depuis les années 1960. Cela signifie aussi un renforcement des capacités de l’État, et des débats réfléchis sur ce que les citoyens veulent que leur pays devienne. Cela implique également un degré de réflexion stratégique difficile à trouver actuellement chez nos élus.
Ils auraient pourtant intérêt à être proactifs — et de prendre acte d’une situation qui n’a pas été choisie par le Canada afin de décider ce qu’il faut en faire.