Dans un monde confronté à des reculs en matière d’environnement et à la réélection de Donald Trump aux États-Unis, l’importance croissante des marchés internationaux du carbone pourrait bien être la bonne nouvelle que nous attendions. Et le Canada devrait en prendre note.
Plus de dix ans après l’effondrement du protocole de Kyoto en 2012, la réunion actuelle de la Conférence mondiale des parties (COP29) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) semble connaître d’importantes avancées. On y retrouve, notamment, une décision sur un nouveau mécanisme de compensation carbone de l’ONU en vertu de l’article 6 de l’Accord de Paris, et la finalisation des règles pour l’échange de droits d’émission se poursuit.
De même, en Amérique du Nord, les électeurs de l’État de Washington ont rejeté le 5 novembre une initiative qui aurait annulé les efforts de l’État en matière d’atténuation des changements climatiques. Cette décision ouvre la voie à la mise en place d’un projet qui lie le système d’échange de droits d’émission de l’État avec ceux de la Californie et du Québec.
Dans un rapport, le Partenariat international d’action sur le carbone souligne que les systèmes d’échange d’émissions sont en plein essor. Les États de New York et du Maryland développent des marchés du carbone qui pourraient avoir intérêt à se lier à ceux de Californie-Québec-Washington. Le même rapport indique que des économies émergentes, telles que l’Inde, le Brésil et l’Indonésie, élaborent également des systèmes d’échanges.
Cependant, le Plan de réduction des émissions pour 2030 du gouvernement fédéral canadien fait à peine mention des marchés internationaux du carbone.
Avec le réchauffement de la planète, il est urgent de discuter de la manière dont le Canada peut s’engager sur les marchés internationaux du carbone. Plus qu’un simple moyen de diminuer les coûts de l’atténuation des changements climatiques, ces marchés constituent une forme de coopération internationale. Ils permettent de répartir les coûts liés à la lutte contre le réchauffement entre les États participants.

Marchés du carbone 101
Il existe deux types de marchés du carbone : l’échange de droits d’émission et les compensations carbone.
L’échange de droits est basé sur des inventaires d’émissions au niveau des entreprises qui sont agrégés par le gouvernement pour former un plafond absolu qui est réduit au fil du temps. Les compensations carbone sont des projets individuels dans le cadre desquels le responsable d’un projet affirme que les émissions diminueront par rapport à un scénario de référence. Ce scénario contre-factuel reflète ce à quoi correspondraient les émissions si on n’investissait pas dans le projet.
Read more: Les crédits carbone sont utiles pour stabiliser le climat… mais sont-ils utilisés efficacement ?
Les systèmes d’échange de droits offrent aux entreprises la possibilité de réduire leurs émissions au moindre coût. Celles qui sont en mesure de les réduire en deçà d’un quota imposé par le gouvernement — le plafond — peuvent vendre leur excédent à celles qui ne peuvent le faire. Les gouvernements exigent que les émissions globales sur un territoire diminuent au fil du temps. Ce système permet d’établir un prix du carbone, mesuré par tonne d’équivalent dioxyde de carbone (tCO2e).
Les entreprises peuvent faire des échanges de droits à l’intérieur du même territoire administratif, mais des territoires différents peuvent aussi lier leurs marchés du carbone, rendant ainsi possibles des échanges transfrontaliers. C’est ce que font la Californie et le Québec depuis 2014.
Les coûts de réduction des émissions varient considérablement d’un endroit à l’autre en fonction de divers facteurs. Par exemple, les recherches indiquent que les coûts de décarbonisation sont relativement plus élevés au Canada qu’aux États-Unis. Les marchés internationaux du carbone pourraient contribuer à répartir ces coûts. Les différences importantes entre les coûts de décarbonisation rendent un marché du carbone interconnecté encore plus attrayant.
Le Fonds monétaire international a avancé que les objectifs de l’Accord de Paris pourraient être atteints si on fixait un prix mondial uniforme du carbone d’environ 104 dollars canadiens par tCO2e d’ici 2030. C’est nettement inférieur au montant de 170 dollars auquel la taxe carbone du gouvernement fédéral canadien devrait être portée d’ici la même année.
La compensation carbone, quant à elle, tend à se limiter aux émissions dans des secteurs difficiles à mesurer ou dans des pays en développement où la capacité d’échange de droits d’émission est insuffisante. Les organisations qui développent des projets de compensation carbone sont chargées de collecter des informations de référence à partir desquelles sont mesurées les réductions d’émissions de leurs projets.
La perspective que des promoteurs manipulent les données de référence soulève des inquiétudes. Cependant, des scénarios contre-factuels sont régulièrement utilisés dans le cadre de la coopération au développement.
Le Canada face à des vents contraires
Les Canadiens devraient sérieusement envisager un système de marché du carbone qui lie diverses juridictions — que ce soit à l’intérieur du Canada, avec des États américains ou avec d’autres pays.

Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.
Le gouvernement de Justin Trudeau a commencé à « infléchir la courbe », les émissions du Canada ayant baissé de 1 % en 2023 par rapport à 2022. Mais pour atteindre l’objectif de réduction fixé par le gouvernement fédéral pour 2030, à savoir 28 % relativement au niveau de 1990, le Canada devra diminuer ses émissions d’au moins 5 % chaque année d’ici 2030.
Cependant, le soutien à la politique climatique canadienne semble diminuer.
Si la popularité croissante du parti conservateur ne peut être attribuée à un seul facteur, la promesse de Pierre Poilievre d’« abolir la taxe » a fait mouche. Cela n’a rien de surprenant. Les recherches sur l’opinion publique montrent que le soutien à la politique climatique décline au fur et à mesure que le prix du carbone augmente.
En revanche, au Québec, les principaux partis politiques parlent peu du marché du carbone de la province. L’une des raisons est que les prix actuels du marché du carbone sont deux fois moins élevés que ceux de la taxe fédérale sur le carbone (40 $ contre 80 $). Nombreux sont ceux qui, hors du Québec, ont décrié cet écart qu’ils jugent injuste. Il faut plutôt y voir une attitude habile sur le plan politique.
Le Québec a diminué ses coûts de réduction des émissions en s’associant à la Californie, où il est relativement moins cher de le faire. Si l’on tient compte des quotas d’émission importés de Californie, le Québec a en fait atteint son objectif de réduction des émissions pour 2020, soit 27 % de moins que les niveaux de 1990.

Certains observateurs se sont inquiétés des sorties de capitaux du Québec vers la Californie. Cependant, les entreprises québécoises soutiennent généralement le marché du carbone, et ce, à juste titre.
La modélisation économique révèle que si le Québec cherchait à atteindre son objectif de réduction des émissions pour 2030 de manière unilatérale, sans lien avec la Californie, le prix du carbone devrait augmenter d’au moins 300 dollars. Cela signifie que les Québécois subiraient une forte hausse du prix du carbone payé à la pompe, qui passerait d’environ 9 cents à 57 cents par litre. Une telle hausse ne manquerait pas de susciter de la grogne.
Le marché du carbone : une bonne idée
Dans l’ensemble, l’expérience du Québec montre que le marché international du carbone peut fonctionner tant à l’échelle mondiale qu’à l’intérieur du Canada.
Les marchés du carbone suscitent des inquiétudes fondées qui portent sur des questions telles que l’étouffement de l’innovation, la « dissuasion en matière d’atténuation », les failles administratives ou encore les préoccupations morales liées à la « vente d’indulgences ».
Tout débat sérieux devrait prendre en compte ces préoccupations, même si plusieurs d’entre elles relèvent sans doute davantage de la politique économique néolibérale, qui a vu sa légitimité s’éroder. Une politique industrielle verte pourrait contribuer à dissiper bon nombre de ces craintes.
Pour jeter des ponts entre les marchés du carbone et la politique industrielle, on pourrait fixer des prix planchers pour le carbone. Ceux-ci permettraient aux pays acheteurs d’éviter la fuite de capitaux, tandis que les pays vendeurs pourraient s’assurer que les entrées de financement climatique sont suffisamment élevées pour mener à des transformations.
Les marchés internationaux du carbone sont un moyen pour le Canada d’assumer la responsabilité de ses émissions tout en soutenant les réductions d’émissions ailleurs dans le monde. Quel que soit le gouvernement en place à Ottawa dans les années à venir, il est impératif qu’il les prenne au sérieux.