Avec une forte croissance économique pour un pays occidental et la volonté de jouer un rôle militaire accru au sein de l’OTAN, la Pologne dispose d’atouts en vue de devenir un acteur clé au sein de l’Europe.
En effet, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a un impact sur l’ensemble de l’Union européenne. Des pays comme la France et l’Allemagne peinent à trouver une politique cohérente. Hésitant entre aider l’Ukraine ou ménager leurs relations avec Moscou, les deux pays, qui étaient dans le passé les forces motrices de l’Union européenne, sont affaiblis sur le plan international, mais aussi sur le plan intérieur en raison de facteurs économiques et politiques.
Docteur en relations internationales, je travaille sur les relations entre les pays membres de l’OTAN et la Russie, ainsi que sur l’emploi de nouvelles technologies en matière de défense et sécurité. Cela m’amène à analyser la place croissante que la Pologne occupe sur la scène politique européenne depuis le conflit en Ukraine.
La Pologne maintient sa croissance économique
Au cours de la dernière décennie, la Pologne a connu l’une des croissances économiques les plus élevées de l’Union européenne, avec une hausse du PIB de plus de 5 % pendant de nombreuses années, avant et après la pandémie de la Covid.
Pour le deuxième trimestre de 2024, le pays a enregistré la plus forte augmentation de son PIB par rapport au trimestre précédent, soit +1,5 %.
Alors que la plupart des pays européens sont en stagnation, la Pologne arrive à maintenir le développement de son économie.

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Dans le même temps, Varsovie a été active sur les questions internationales.
L’initiative des Trois Mers, lancée en 2016, vise à assurer le développement économique de l’Europe centrale par la coopération dans les secteurs des transports, de l’énergie et de la numérisation. Il s’agit d’un outil de « soft power », à savoir d’influence économique et politique, pour le gouvernement polonais afin de renforcer son poids en Europe centrale.
Des pays unis dans le passé
Varsovie a également initié en 2020 le Triangle de Lublin entre la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine afin de dissuader l’activisme russe. Ce forum informel avait pour but de coordonner des actions en matière de sécurité et défense dans les trois pays. Il a aussi pour vocation de soutenir l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN.

Le conflit en Ukraine en 2022 a eu un impact négatif sur le rôle du Triangle qui devait initialement dissuader une attaque généralisée de la Russie en Ukraine. Néanmoins, celui-ci est toujours utilisé comme un forum de discussion informel. Il convient de noter que le Triangle a aussi une symbolique historique.
Il faut se rappeler que la Pologne et la Lituanie ont déjà été unies dans le passé, au sein de la république des Deux Nations, un État existant du 16e au XVIIIe siècle. Son territoire incluait une large part de l’Europe centrale, dont la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine actuelle. Cette utilisation de l’histoire dans les représentations politiques actuelles est à ne pas négliger.
Devenir l’une des principales forces militaires européennes
Mais c’est dans l’espace de défense européen que la Pologne a pris une place dominante. En 2024, avec une hausse de 4 %, c’est le pays qui devrait avoir les dépenses de défense les plus élevées en pourcentage de son PIB au sein de l’OTAN. En comparaison, les États-Unis seraient à une hausse 3,38 % du PIB.

En 2023, Varsovie a initié une réforme de l’armée polonaise. L’objectif était de faire du pays la principale puissance militaire de l’Europe avec la plus grande armée de l’Union européenne. L’objectif : une armée active de 300 000 soldats d’ici 2035. Dans les estimations de l’OTAN pour 2024, les forces actives polonaises contiennent 216 000 soldats, ce qui en fait la troisième plus grande armée de l’OTAN après les États-Unis et la Turquie.
La Pologne est aujourd’hui suivie par la France (204 700) et l’Allemagne (185 600) tandis que jusqu’en 2022, l’armée polonaise était moins nombreuse que les armées française et allemande. Il s’agit d’un renversement notable.
Un contraste avec la stagnation et l’instabilité en France et en Allemagne
Les récentes élections en France, tant européennes que législatives, montrent la montée des forces politiques radicales à gauche et à droite. Cela crée une incertitude sur l’avenir et la direction politique de la France et témoigne d’une lassitude face au président Macron, au pouvoir depuis 2017. À cela s’ajoute la situation préoccupante des finances publiques et surtout de l’endettement public.

L’Allemagne, la locomotive économique de l’Europe de ces dernières décennies, ralentit également. La croissance économique est actuellement quasi inexistante : en 2023, l’Allemagne a connu une récession avec une baisse de-0,3 % de son PIB. Sur la base des chiffres de la Commission européenne, la croissance devrait être de 0,1 % en 2024 et 1,0 % en 2025.
L’enjeu énergétique en Allemagne
Cette situation est le résultat de nombreux facteurs. L’un d’entre eux est la dépendance à l’égard de l’approvisionnement en gaz russe, qui a fourni aux industries allemandes de l’énergie à moindre coût. Le conflit en Ukraine a mis fin à cette source d’approvisionnement (du moins au niveau des échanges directs) et a eu un impact sur la productivité économique.
En 2023, 52,3 % de la consommation d’électricité allemande provient de sources renouvelables. Cependant, ce n’est pas suffisant pour répondre aux besoins énergétiques de l’industrie.
Des faiblesses à surmonter
Mais les faiblesses de la France et de l’Allemagne n’effacent en rien celles de la Pologne.
Au plan politique, le pays est polarisé entre les centristes de la Coalition civique (KO) de l’actuel premier ministre Donald Tusk et le parti conservateur Droit et Justice (PiS) de l’ancien premier ministre Jarosław Kaczyński. Les deux s’accordent cependant pour faire de la Pologne une nouvelle puissance régionale capable d’affronter la Russie et de jouer un rôle dans les affaires européennes.
La principale faiblesse de la Pologne est sa dépendance vis-à-vis des subventions de l’Union européenne : le pays est, avec la Hongrie, le principal bénéficiaire du budget de l’Union européenne. Cette situation réduit sa capacité à mener des politiques de manière indépendante et montre que son économie est toujours dépendante de celles de l’Europe occidentale.

Il s’agira aussi de voir comment la future administration américaine influencera ce développement polonais. Le tournant plus isolationniste et moins favorable à l’aide à l’Ukraine des républicains américains — du moins ceux favorables à Donald Trump — est l’une des raisons du réarmement polonais qui pourrait s’accélérer en cas de victoire de ceux-ci, afin de compenser le risque d’une baisse de soutien militaire américain.
Une victoire de Kamala Harris et des démocrates serait une continuité des relations actuelles : un soutien politique des efforts de guerre polonais en faveur de l’Ukraine. Mais le réarmement polonais continuera même avec une victoire des démocrates, la Pologne cherchant à avoir une capacité militaire indépendante. Aussi bien pour les républicains que pour les démocrates, la Pologne restera un pays européen clé.