Pour paraphraser le célèbre boxeur Mohammed Ali, Donald Trump est, de tous les présidents, « le plus grand de tous les temps »… du moins en quantité et en masse brute plutôt que pour la qualité.
Certainement le plus grand menteur, d’après le nombre inégalé de mensonges et d’exagérations grossières relevées par les médias : plus de 30 000 durant sa présidence. Et encore 40 lors d’un seul rassemblement à Reading, en Pennsylvanie.
Le plus méprisant des lois à commencer par sa fameuse déclaration de 2016 — « Je pourrais me tenir au milieu de la Cinquième Avenue et tirer sur quelqu’un, et je ne perdrais aucun électeur » — jusqu’à son incitation à l’insurrection contre le Capitole du 6 janvier 2021, et ses dénégations subséquentes de tout acte répréhensible.
Et le plus grand narcissique : « Je suis le seul à pouvoir tout régler », où « tout » englobe aussi bien l’économie, les frontières que le bien-être des femmes (« Je vous protégerai »), les immigrants « qui empoisonnent le sang américain », la guerre en Ukraine, et ainsi de suite.
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Trump contre le monde
Si Trump mène le palmarès des présidents américains dans ces catégories douteuses, ses prédécesseurs n’étaient pas des anges non plus.
La malhonnêteté émane depuis longtemps de la Maison-Blanche. Par exemple, Dwight D. Eisenhower niait l’implication de la CIA dans un coup d’État au Guatemala en 1954 et Bill Clinton a joué avec les mots quant à sa relation avec Monica Lewinsky.
D’autres présidents se considéraient comme au-dessus des lois. Concernant les Cherokees, Andrew Jackson a défié le juge en chef de la Cour suprême, laquelle avait déclaré leur déplacement illégal : « Il a pris sa décision. Qu’il agisse pour la faire respecter ! » Quant à Richard Nixon, il a tenté de s’extirper du scandale du Watergate par une fanfaronnade effrontée.
Mais c’est par son narcissisme, cependant, que Trump devance largement tout le monde. Ce n’est pas que l’ego ou l’orgueil sont des denrées rares parmi les présidents américains. Après tout, personne ne peut se lancer à l’assaut de la Maison-Blanche avec une estime de soi dans les ligues mineures. Que ses occupants aient tous développé une haute idée d’eux-mêmes est donc un peu normal.

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Dans l’engrenage politique, la soif du pouvoir monte par étape de manière quasi logarithmique, où chaque succès suscite une envie plus intense et le sentiment toujours plus fort d’y avoir droit.
Intérêt composé et appétit composé
Ce désir de pouvoir, que j’appelle « appétit composé » suit la même logique que l’intérêt composé, un mécanisme familier pour quiconque est familier avec l’épargne : l’intérêt sur le capital, en étant réinvesti, génère encore davantage d’intérêt, comme une boule de neige qui grossit en dévalant la pente, selon la belle image du grand financier Warren Buffet.
Toute la vie de Trump incarne les dangers que représente une telle boule de neige qui écrase tout sur son passage.
Donald Trump s’est d’abord appuyé sur les activités immobilières de son père à New York parmi les quartiers périphériques de Manhattan pour se construire un petit royaume. En s’appuyant sur sa notoriété médiatique et sur ses magouilles financières et sur ses banqueroutes, il a su conquérir un empire d’hôtels, de casinos et de terrains de golf.
Puis, en 2004, le succès de sa série de téléréalité The Apprentice a non seulement nourri son appétit pour les projecteurs, mais surtout transformé son timide désir de pouvoir politique en une soif débridée qui ne cesse d’étonner.
« J’ai créé un monstre. » C’est en ces termes qu’un ex-directeur du marketing chez NBC ayant fait la promotion de la série s’est récemment excusé auprès des Américains.
Le « meilleur » contre les « pires »
L’effet boule de neige des appétits trumpesques prend des proportions jamais vues dans les annales présidentielles. Ses ambitieux prédécesseurs ont su s’arrêter, de gré ou de force, quelque part sur les pentes neigeuses de la Maison-Blanche.
George Washington et Franklin D. Roosevelt, par exemple, même s’ils étaient loin d’être parfaits, ont su harnacher leur ego pour nourrir un leadership transformateur.
Ces deux grands patriciens avaient certes une haute idée de leur personne, mais chacun alliait une réelle maîtrise de soi avec un véritable respect des principes démocratiques et une certaine noblesse d’âme quant au service public.
Sans cette maîtrise de soi et sans un engagement en faveur des principes démocratiques et du service public, l’histoire américaine aurait certainement été tout autre à l’issue de la Révolution américaine, de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale.
Certains présidents ont eu des résultats plus mitigés parce qu’ils ont laissé leur orgueil saper des réalisations pourtant impressionnantes. C’est exactement ce qui est arrivé avec Lyndon B. Johnson avec la guerre du Vietnam.
Johnson, trop confiant dans la puissance américaine face à ce qu’il qualifiait de « foutu petit pays de minables », et trop certain de son talent pour trouver le point d’équilibre entre les dépenses militaires et les programmes sociaux, s’est laissé entrainer par la même soif de victoire que ses prédécesseurs.
Et ce n’est que trop tard que Johnson, héritier dévoué de la vision de justice sociale et économique du New Deal de Roosevelt et grand maître de l’action sociale et législative, a réalisé que l’héritage éblouissant de son programme politique (la Grande Société) serait profondément terni par « cette saloperie de guerre ».

Absurdité ou danger
Dans le cas de Trump, le niveau d’orgueil démesuré oscille désormais entre le ridicule et le danger absolu.
Sa cupidité n’a apparemment aucune limite. Lui qui vendait jadis des « Steaks Trump » et des diplômes de l’Université Trump écoule désormais les produits dérivés de sa propre campagne, y compris des morceaux à 1 485 dollars du costume qu’il portait lors du débat contre le président Joe Biden.
Mais advenant une éventuelle défaite la semaine prochaine, son insatiable soif de pouvoir pourrait engendrer un second scénario insurrectionnel comme le 6 janvier 2021.
Mais sa victoire ne serait guère une consolation. Certes, il a déclaré qu’il opposerait son veto à une interdiction nationale de l’avortement. Mais vu son passé de menteur et sa proximité avec ceux qui ont renversé l’arrêt Roe v. Wade, il n’y a aucune raison de croire qu’il tiendrait parole après la campagne.
La construction d’un mur frontalier pourrait-elle déboucher sur des déportations massives ? Les insultes de bas étage contre ses opposants et le rejet de tout débat politique sérieux annoncent-ils des actions policières ou militaires contre les prétendus « ennemis de l’intérieur » qu’il dénonce depuis des mois ?

Comment le pouvoir corrompt
Cet amalgame démesuré d’ego et d’appétit et la dynamique qui porte Donald Trump vers de nouveaux extrêmes rappellent cette fameuse citation de Lord Acton :
Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument.
Bien que la chose s’observe ailleurs, notamment chez Elon Musk et d’autres potentats de la Silicon Valley, la campagne électorale américaine l’illustre de manière éclatante.
Seules l’élection présidentielle et ses suites permettront de déterminer si la politique américaine se cantonnera au champ de mines traditionnel de l’ego et de l’orgueil « ordinaires » d’une présidence « normale ». Ou si la soif de pouvoir incontrôlée de Donald Trump et son narcissisme deviendront une nouvelle source de danger.