Les interactions humaines sont complexes, et peuvent entraîner leur lot de déception. Il peut arriver, par exemple, qu’un proche ne réponde pas à notre détresse ou à notre joie comme on pouvait s’y attendre. Les accidents de communication, ça arrive !
La psychiatrie nous enseigne toutefois que si ces accidents se multiplient avec une même personne, la raison pourrait en incomber, moins à un manque de bonnes intentions de notre interlocuteur, qu’à une altération de sa cognition sociale.
Un nombre croissant d’études établissent en effet un rapport entre la cognition sociale et différentes affections psychiatriques. Des comportements qui vont de soi pour la plupart des gens, comme démontrer de la sollicitude à quelqu’un qui exprime sa tristesse, peuvent être absents chez certains.
Pour certains, une situation ou une interaction pourtant élémentaire peut donner lieu à une interprétation erronée, et incidemment à un comportement déplacé ou non adéquat. La multiplication de ces sortes d’erreurs peut être due à une atteinte chez l’individu d’une compétence cognitive centrale en la matière : la cognition sociale.
Elle concerne principalement la capacité à décoder les émotions ainsi qu’à comprendre les croyances et les intentions des gens qui nous entourent. Déterminer si cette compétence cognitive est affectée par une maladie ou un trouble psychiatrique est donc essentiel, puisqu’il est alors possible de répondre adéquatement aux problèmes rencontrés, et ainsi de limiter ses effets néfastes.
Un champ de recherche émergent
Professeure adjointe en Psychiatrie à l’Université McGill, je mène des recherches sur les troubles psychiatriques afin d’étudier les troubles cognitifs, leurs impacts et leurs solutions possibles. Mes travaux s’inscrivent à cet égard au sein d’un champ de recherche de plus en plus important qui s’intéresse aux rapports qui existent entre les troubles de la cognition sociale et des troubles de santé mentale comme la dépression, le trouble bipolaire ou la schizophrénie. Dans toutes ces pathologies, des atteintes de différents degrés de la cognition sociale ont été observées.
Les divers signes pouvant indiquer une altération de la cognition sociale doivent être pris au sérieux. Cette atteinte affecte en effet non seulement la compréhension qu’un individu peut avoir du monde, mais perturbe également la communication avec les gens de son quotidien.

Il est possible de repérer ces signes lors de l’interprétation d’une situation vécue ou d’une fiction que l’on vient de regarder. Comment se fait-il, par exemple, que l’on soit le seul à ne pas avoir compris le sous-entendu du personnage principal de notre série préférée ou le double sens d’un propos lors d’une discussion entre collègues ?
Un impact dans le quotidien
Une revue de littérature réalisée il y a quelques années avec des collègues montrait des liens entre les atteintes de la cognition sociale chez les personnes vivant avec un trouble bipolaire et le niveau de fonctionnement dans la vie de tous les jours. Autrement dit, plus la cognition sociale est atteinte, et moins l’individu aura tendance à bien fonctionner au quotidien.
Depuis, nos travaux et ceux d’autres équipes ont montré que ces atteintes sont un intermédiaire entre les problèmes cognitifs (ex : la mémoire) et les symptômes cliniques. En effet, la mémoire est fréquemment affectée dans des pathologies telles que la schizophrénie et certaines formes de trouble bipolaire.

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Ces atteintes surviennent précocement dans le cours de la maladie et sont associées à une perte de motivation, un repli sur soi ou une difficulté à exprimer ses émotions. Les atteintes de la cognition sociale, telles que la difficulté à repérer ses émotions et celles des autres, à se comprendre et à comprendre les autres, seraient au centre de ce processus. En comprenant cela, des pistes de prises en charge peuvent être proposées.
Améliorer ses compétences cognitives
Plusieurs propositions ont été développées pour soutenir et améliorer ces compétences.
Certaines interventions vont par exemple proposer des exercices travaillant la cognition sociale et la mémoire. Il pourra alors s’agir, pour le patient, de reconnaître correctement les émotions exprimées par une autre personne, ou encore, en interprétant correctement les croyances ou les intentions d’autrui, de parvenir à une lecture adéquate de situations plus complexes.
D’autres interventions vont permettre au patient de prendre conscience de la façon qu’il a de penser en intégrant la cognition sociale. Un exercice peut présenter une histoire dont les motivations des personnages n’apparaissent que progressivement.
Par exemple, une jeune fille offre des chocolats à une dame âgée qui la remercie en souriant. Une fois la jeune fille partie, la dame exprime du dégoût puis jette la boite à la poubelle. La jeune fille revient après quelques mois avec une nouvelle boite de chocolats. Les questions vont alors porter sur les croyances de la jeune fille et la réaction qu’elle peut attendre de la part de la dame âgée.
Ce type d’exercice, de complexité croissante, aide l’individu à prendre progressivement conscience de ses propres difficultés, puis à trouver des stratégies pouvant apporter des solutions. Un tel programme, développé initialement pour la schizophrénie, a montré son efficacité et est maintenant préconisé pour plusieurs troubles psychiatriques. Pour la schizophrénie, une méta-analyse récente à montré une amélioration maintenue sur une année concernant les symptômes, l’estime de soi et le fonctionnement.
La plupart de ces programmes se font en présence d’un thérapeute, dans un environnement de soins. La mise en situation, par le biais d’exercices pratiques, permet ensuite aux personnes vivant avec des troubles de la cognition sociale d’introduire ces apprentissages dans leur quotidien. En effet, les interventions qui soutiennent la cognition sociale impliquent d’utiliser rapidement les stratégies proposées dans la vie de tous les jours pour qu’elles soient utiles et se maintiennent dans le temps.
Une accessibilité à améliorer
De nombreux efforts sont faits pour que ce type de prise en charge puisse bénéficier à un plus large public, notamment à l’aide des outils numériques. Par exemple, depuis la pandémie, notre équipe a proposé dans le cadre d’un projet de recherche des groupes en visioconférence pour les personnes souffrant de problème sévère de santé mentale. Les personnes qui ont participé à ces interventions ont trouvé cela faisable et satisfaisant sous cette forme et leur bien-être s’en est trouvé amélioré.
Pour les proches d’une personne vivant avec un trouble de santé mentale, une meilleure connaissance et compréhension de ces processus est aussi utile. Il est en effet important que ces proches comprennent qu’elles n’ont pas affaire à une personne mal intentionnée, qui cherche volontairement à les blesser ou les mésinterpréter, mais bien à une personne en souffrance.
La schizophrénie étant une des pathologies qui suscite le plus d’incompréhension pour les familles, des programmes visant à améliorer la communication intrafamiliale existent (ex : Profamille) et peuvent soutenir le maintien et la qualité des relations, même s’ils ne visent pas spécifiquement la cognition sociale.
La cognition sociale est un domaine qui suscite beaucoup de travaux de recherche et clinique afin d’en comprendre les mécanismes et permettre le rétablissement des personnes vivant avec un trouble de santé mentale. Il reste encore beaucoup de travail pour s’ajuster à chaque situation individuelle, mais les avancées sont bien réelles.