Donald Trump, président désigné des États-Unis, a menacé de procéder à des déportations massives de sans-papiers dès le début de son second mandat.
Au moment où Trump s’apprête à tenir sa promesse, il est important de comprendre comment se déroulent de telles expulsions massives. Ce qui se passe en République dominicaine peut servir de mise en garde.

En octobre 2024, le président dominicain Luis Abinader Corona s’est engagé à renvoyer 10 000 Haïtiens par semaine. L’Organisation des migrations internationales a enregistré la déportation de 27 000 Haïtiens de la République dominicaine à la fin du mois d’octobre, le chiffre atteignant 40 000 le 18 novembre.
Les Haïtiens représentent la plus grande communauté de migrants en République dominicaine, car ce pays et Haïti se partagent l’île caribéenne d’Hispaniola.
Selon la dernière enquête sur l’immigration menée en 2017 en République dominicaine, 497 825 migrants haïtiens y vivaient, ce qui équivaut à 4,9 % de la population totale. En supposant que ces chiffres n’aient pas changé de manière radicale depuis, 40 000 déportations constituent une proportion importante de la population haïtienne du pays.
Les déportations
Lors de mon séjour de recherche en juillet 2024, il est apparu clairement que l’armée, la police et les agents de migration dominicains avaient reçu des objectifs de déportation bien avant l’annonce faite par le président au mois d’octobre.
Des gens m’ont rapporté que les rafles de migrants étaient plus violentes et arbitraires à l’approche de la date limite et lorsque les objectifs n’avaient pas été atteints.
Dans les zones frontalières, on m’a parlé d’Haïtiens expulsés qui se sont fait escroquer par des officiers de l’armée et par des personnes qu’ils ont payées pour revenir clandestinement en République dominicaine, avant d’être à nouveau déportés. Outre l’extorsion, les migrants sont également victimes de violences lorsqu’ils tentent de revenir.
La pression exercée pour atteindre les objectifs du président alimente la vague actuelle d’expulsions au mépris du droit national et international.
Selon la loi dominicaine, les enfants ainsi que les femmes migrantes qui sont enceintes ou qui allaitent ne doivent pas être déportés. Des organisations de la société civile rapportent toutefois que des rafles de migrants ont eu lieu jusque dans des maternités, en particulier en 2021, mais aussi au cours des derniers mois de 2024.

Femmes allaitantes et écoliers
Bien que la loi dominicaine donne la priorité au droit des enfants au regroupement familial, des gens que j’ai interrogés m’ont dit qu’il arrivait qu’on sépare de force des femmes allaitantes de leurs nourrissons. On m’a également parlé de cas où des « enfants d’apparence haïtienne » — en d’autres termes, des Noirs — ont été embarqués dans des camions de déportation en rentrant de l’école.
Le profilage racial joue un rôle majeur dans les expulsions en République dominicaine. On cible des personnes noires sans prendre en compte leurs documents d’identité.
À titre d’exemple, lors de mon séjour de recherche à la frontière nord de la République dominicaine en 2022, j’ai rencontré un jeune adolescent dominico-haïtien que la police avait interpellé au milieu de la nuit. On n’a pas laissé au garçon le temps de rassembler ses documents avant de le faire monter de force dans un camion des services de migration.

Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.
Il a été détenu dans des conditions difficiles à la frontière, loin de sa ville natale, pendant que sa mère cherchait des moyens de transport pour apporter ses documents aux autorités afin de prouver qu’il était bien dominicain.
Le seul fait que ce garçon possédait des documents était une chance. L’accès aux documents pour les Haïtiens, les Dominicains et plus particulièrement les Dominicains d’origine haïtienne a toujours été ardu. La situation s’est aggravée depuis 2013, quand on a dénationalisé jusqu’à 200 000 Dominicains d’origine haïtienne, les rendant susceptibles d’être expulsés vers un pays où beaucoup d’entre eux n’avaient jamais mis les pieds.

Pourquoi les Haïtiens émigrent-ils en République dominicaine ?
La migration de la main-d’œuvre haïtienne est un élément important du développement de la République dominicaine depuis le début du 20esiècle.
Au cours d’une période marquée par l’occupation et l’influence accrue des États-Unis sur les deux parties d’Hispaniola, les États-Unis ont encouragé la culture du sucre en République dominicaine tout en instaurant un système de migration fondé sur la ségrégation raciale. Ce modèle visait à attirer les immigrants européens et à dissuader les Noirs et les Asiatiques de venir sur l’île.
L’unique option envisageable pour la majorité des Haïtiens qui souhaitaient immigrer en République dominicaine était un programme de migration de main-d’œuvre destiné aux hommes haïtiens pour travailler dans les plantations de sucre dans des conditions d’exploitation extrême.
Même si le sucre n’est plus le principal secteur de l’économie dominicaine, le pays reste une destination importante pour les Haïtiens, d’autant plus que c’est la seule qu’ils puissent atteindre par voie terrestre.
La République dominicaine et Haïti sont d’importants partenaires commerciaux, avec un fort volume de marchandises qui traversent la frontière. Il existe aussi des pratiques sociales et culturelles transfrontalières de longue date qui façonnent la culture des deux côtés de l’île.
La République dominicaine est également une destination courante pour les Haïtiens qui fuient la violence politique et les conséquences des catastrophes naturelles. Le tremblement de terre de 2010 a provoqué le déplacement d’environ 2,3 millions de personnes, générant un nombre sans précédent de mouvements de population à l’intérieur du pays et à l’étranger. Haïti ne s’est pas encore totalement remise de cette catastrophe.
Une profonde crise de gouvernance a résulté de l’intervention de nombreuses organisations internationales qui ont géré jusqu’à 2,4 milliards de dollars américains de 2010 à 2012 sans participation significative du gouvernement haïtien. D’autres catastrophes naturelles ont affecté Haïti depuis, dont un ouragan en 2016 qui a causé le déplacement de 175 000 personnes et un autre tremblement de terre en 2021.

Haïti aujourd’hui
Haïti se trouve actuellement au cœur d’une grave crise politique. Après l’assassinat du président Jovenel Moise en 2021, les institutions publiques du pays se sont retrouvées considérablement fragilisées.
La plupart sont tombées aux mains de groupes armés informels, notamment dans la capitale Port-au-Prince et ses environs. Ces gangs terrorisent la population. La mobilité à l’intérieur du pays est restreinte en raison de la violence et des prix exorbitants du carburant, qui rendent les transports hors de prix.
Read more: La crise en Haïti reflète l’échec de la communauté internationale pour stabiliser le pays
L’accès à l’eau potable, aux installations sanitaires, à l’électricité et à la nourriture demeure un défi pour la vaste majorité de la population. Dans les zones où les gangs sévissent, la violence armée et sexuelle fait partie du quotidien.

Selon un récent communiqué de presse publié par le Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés haïtiens, 1 200 personnes sont mortes à cause de la violence des gangs de juillet à septembre 2024. L’organisation fait notamment référence à un massacre perpétré du 6 au 8 décembre, précédant la Journée internationale des droits de la personne, et qui a entraîné la mort de 180 civils, dont de nombreuses personnes âgées, à Wharf Jérémie, un quartier de Port-au-Prince.
La vague d’expulsions en République dominicaine est donc particulièrement condamnable, car les personnes déportées sont contraintes de retourner dans un environnement d’une extrême violence.
La République dominicaine n’est pas le seul pays à forcer les Haïtiens à rentrer dans ces conditions. Selon les statistiques de l’Agence américaine de l’immigration et des douanes, la déportation d’Haïtiens sans casier judiciaire a doublé de 2021 à 2024, et a été multipliée par dix en 2022.
Les Haïtiens rencontrent des obstacles considérables pour accéder à la protection internationale dans l’ensemble des Amériques, notamment chez leur voisin immédiat.
La situation aux États-Unis
Au moment où Donald Trump s’apprête à tenir sa promesse d’expulsions massives, il est important de suivre de près ce qui se passe dans les Caraïbes.
Les Haïtiens ont été au centre du débat sur l’immigration pendant la campagne électorale présidentielle lorsque Trump a propagé de fausses affirmations sur la criminalité des migrants à Springfield, dans l’Ohio, ce qui a entraîné des menaces à l’encontre de la population haïtienne de la ville.
Nous voyons la communauté internationale se détourner des Haïtiens alors même que ces derniers traversent la pire crise politique que le pays ait connue depuis des décennies. Ils sont contraints de retourner dans un lieu où leur vie est en danger. Le même sort attend-il les migrants victimes des déportations de masse orchestrées par Trump ?