Ces dernières années, malgré une constante augmentation des dépenses, les problèmes de qualité des soins et d’accès aux services de santé restent préoccupants.
L’accent mis sur les soins purement curatifs, avec une utilisation croissante d’examens complémentaires et de produits pharmaceutiques coûteux, ne réussit pas toujours à améliorer significativement l’état de santé des patients et de la population.
Porté par un contexte économique défavorable, le Québec adopte de plus en plus une stratégie de coupes budgétaires dans le domaine de la santé, bien que les coupes dans ce domaine se traduisent souvent par une exacerbation des inégalités en matière de santé.
En vérité, il existe une approche alternative de la santé, qui ne considère pas le citoyen comme un simple consommateur ni le professionnel de la santé comme un prescripteur.
Depuis maintenant plus de 75 ans, il existe une approche qui ne bascule pas dans le syndrome de la pilule magique : celle des cliniques communautaires.
On en retrouve notamment en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique.
Cette approche fait écho à des conclusions de grandes conférences internationales de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dont la déclaration de Alma-Ata en 1978 et la Charte d’Ottawa publiée à l’issue de la conférence internationale sur la promotion de la santé à Ottawa en 1986.
Professeur adjoint en santé numérique et en analyse des mégadonnées à l’école de santé publique de l’Université de Montréal, j'ai étudié, avec mon collègue Jean-Pierre Girard, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal et membre associé à l’Institut Santé et société de la même institution, qui a également collaboré à cet article, trois cliniques communautaires, deux au Québec et une en France. À partir d’une grille de thèmes abordés, dont leur recours aux outils numériques, nous avons mené des entrevues et consulté les documents internes de ces organisations, en plus de les visiter.
Le numérique peut renforcer la mission des cliniques communautaires
Notre objectif était non seulement de mieux faire connaître ces institutions, mais aussi d’identifier comment elles répondent aux impératifs de la transformation numérique de nos sociétés afin de maintenir, voire renforcer leur mission.
Au Québec, notre étude a porté sur la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles (CCPSC) à Montréal (créée en 1968) et la Coopérative de solidarité SABSA de Québec, constituée en 2011. En France, nous avons opté pour la clinique Quartier Santé Lemasson (QSL), située à Montpellier et qui a ouvert ses portes en 2022.
Outre d’être situées dans deux pays différents et desservir des patients d’âges variés, ces cliniques ont trois points en commun : elles savent tirer parti des partenariats existants, établir de nouveaux partenariats et utiliser des données et des preuves pour éclairer leur prise de décision.
Une approche qui prend en compte les déterminants sociaux
Les cliniques communautaires sont des organisations de première ligne à finalité non lucrative avec une gouvernance citoyenne. Elles se caractérisent par une approche multidisciplinaire, faisant appel à d’autres professionnels que les seuls médecins, notamment du personnel de travail social.
Cette approche encourage le partage de savoirs entre les différents agents. C’est ainsi que se développe une conception interdisciplinaire de la connaissance. En outre, on y relève un souci des populations marginalisées et isolées, dans une perspective mariant la santé et le social.

Les déterminants sociaux de la santé sont décisifs dans l’élaboration de solutions de prise en charge des usagers. Ces solutions sont ainsi plus holistiques et efficientes.
Prenons le cas de Jacques (prénom fictif). Il ressent des problèmes respiratoires de façon récurrente. Lors de sa consultation à la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, à Montréal, l’infirmière s’intéresse non seulement aux symptômes du patient, mais aussi à son environnement.
Rapidement, elle comprend qu’une cause probable des problèmes de Jacques provient de son logement. Effectivement, au fil de la conversation, elle découvre que des problèmes de moisissures et d’humidité se posent dans son logement actuel. Jacques refuse de le quitter par crainte de se retrouver à la rue en raison de la pénurie alarmante de logements décents et abordables dans son quartier.
Travailler en collaboration avec le milieu communautaire
Pas vraiment une grande surprise pour l’infirmière bien au fait du rapport annuel 2015 de la direction de la santé publique de Montréal portant sur la situation du logement dans la région métropolitaine.
Jacques n’est qu’une autre des victimes de cette crise du logement qui heurte des milliers de ménages.
Aucun médicament ne va régler ces problèmes, mais des ressources peuvent être mises à contribution (comité logement de l’arrondissement, banque alimentaire, etc.)
Des interventions qui ne nécessitent pas de médecin
Or, depuis des décennies, la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles est engagée dans l’amélioration des conditions de logement du quartier qui a vécu brutalement la désindustrialisation dans les années 1960. Une des conséquences positives des interventions de la CCPSC est l’augmentation significative de logements sociaux et communautaires, soit plus de 30 % du parc de logements, probablement un des taux les plus élevés de la région métropolitaine.

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À Québec, la coopérative de solidarité SABSA a fait la démonstration que près des 90 % des interventions ne nécessitent pas de médecins, mais plutôt, des infirmières praticiennes (IP).
Cette donnée est d’autant parlante que la clinique intervient prioritairement avec des personnes atteintes d’hépatite C et/ou de VIH-sida. Il s’agit de personnes qui nécessitent une prise en charge et un suivi constant. La coopérative a réussi alors que, par le passé, ces personnes étaient souvent en marge du système de santé.
Bien que très jeune, le Quartier santé Lemasson (QSL) à Montpellier a rapidement multiplié les partenariats avec des organismes du quartier pour offrir une panoplie de séances d’information et autres ateliers, notamment en matière de diabète, d’activité physique et d’alimentation des aînés.
Répondre aux impératifs de la transformation numérique
Dans les trois cas, la transformation numérique a été initiée par des besoins réglementaires. Les deux cliniques québécoises se sont dotées d’un dossier médical électronique en 2016. Quant au QSL, elle s’est équipée d’un outil numérique dès sa création en 2022.
L’aspect collaboratif et communautaire transparaît dans la gestion de la transformation numérique. Au CCPSC, un comité composé de cliniciens, de gestionnaires et de représentants des habitants du secteur couvert par la clinique a été mis en place pour choisir l’outil nécessaire.

Contrastant avec l’engouement autour du numérique, les cliniques communautaires québécoises ont refusé l’installation d’outils numériques (totem de prise de rendez-vous, système de gestion de file d’attente, outils de préadmission en ligne, etc.) craignant que des usagers se sentent mal à l’aise de ne pas pouvoir les utiliser.
Cependant, l’utilisation des réseaux sociaux nous a été mentionnée comme un moyen de maintenir le contact avec les usagers et de leur transmettre des informations de suivi. Cette approche témoigne du caractère quasi familial de la relation entre le centre et ses usagers qui permet de tirer avantage du numérique comme lien social.
Investir dans le numérique communautaire
Tout comme les cliniques communautaires, le numérique vise à renforcer les capacités et l’autonomie des patients dans la gestion de leur santé. Cette meilleure inclusion des patients devrait accélérer le changement de paradigme vers des soins plus intégrés et ainsi participer à la réduction des coûts liés à une vision purement curative des prises en charge.
Cependant, son potentiel à accentuer les inégalités d’accès aux soins demeure un risque bien identifié et pris en compte par les acteurs.
L’absence de ce que nous appelons numérique communautaire — un écosystème dédié au développement, au déploiement, à l’analyse et à l’évaluation d’outils numérique en milieu communautaire - oblige ces structures à affronter des défis similaires à ceux des grandes institutions de santé, malgré des moyens financiers plus limités. C’est pourquoi il faut soutenir davantage le processus de transformation numérique en milieu communautaire.