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Vue aérienne de la ville de Montréal
Le Plateau-Mont-Royal et le centre-ville de Montréal, lieux exemplaires de mixité fonctionnelle. (Shutterstock)

Voici pourquoi la réforme du zonage ne règlera pas la crise du logement

Il y a de bonnes raisons de réformer le zonage, mais la réduction du coût du logement n’est certainement pas la meilleure. Pour atteindre cet objectif, d’autres stratégies sont bien plus importantes.

Face à la crise du logement qui sévit actuellement, le zonage est souvent montré du doigt comme un obstacle important à la production de logements abordables. Des règlements d’urbanisme restrictifs limiteraient l’offre de nouveaux logements et feraient donc augmenter les prix et les loyers. Il y a du vrai dans cette critique. Une modification des pratiques est donc nécessaire. Toutefois, il faut placer la question du zonage dans son contexte historique et politico-économique et la traiter avec discernement.

Potentiels et problèmes intrinsèques du zonage

La recherche sur l’histoire et l’évolution du zonage, à laquelle je contribue depuis mes études doctorales ainsi qu’à titre de professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, montre bien qu’en Amérique du Nord, le zonage a servi dès ses origines à protéger les quartiers de classe moyenne et supérieure et à en exclure les ménages pauvres ou appartenant à des minorités raciales et ethniques. Il a été adopté avec le soutien actif des promoteurs immobiliers, voire à leur demande, car il protège les valeurs foncières. Mais le zonage a en réalité diverses fonctions.

Photo aérienne d’un quartier aisé de la banlieue
La banlieue résidentielle, façonnée et protégée par un zonage exclusif. (Shutterstock)

Adopté en vertu du pouvoir de police, qui permet à l’État d’imposer des contraintes sans compensation si elles favorisent la santé, la sécurité et le bien-être de la population, le zonage peut servir divers objectifs, outre celui de protéger le capital financier et social des propriétaires : éloigner les sources de nuisance et de danger des quartiers résidentiels, planifier les infrastructures publiques selon les besoins des différentes zones à urbaniser, façonner des milieux de vie où chaque logement à un bon accès à la lumière et à l’air, créer une plus grande harmonie visuelle dans la ville.

À ces enjeux se sont rajoutés à partir des années 1960 ceux de la protection du patrimoine culturel et naturel, de la protection du territoire agricole et, dans un revers historique contre le zonage d’exclusion, de l’inclusion de logements abordables et d’équipements publics dans les projets privés.


Nos villes d’hier à demain est une série produite par La Conversation.

Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et — tout particulièrement en cette année électorale — politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.

La rigidité de l’Amérique du Nord

Le zonage présente un double problème. Comme l’a montré Sonia Hirt, professeure d’architecture du paysage et d’urbanisme à l’Université de Géorgie, dans son ouvrage « Zoned in the USA », les États-Unis – ainsi que le Canada – ont, contrairement aux pays européens, utilisé le zonage de manière très rigide, en séparant fortement les divers usages et les diverses formes d’habitats. Cette pratique a eu un effet particulièrement profond sur la construction de la banlieue nord-américaine et de ses paysages monofonctionnels.

Le train d’un métro léger longe une autoroute
Le nouveau Réseau express métropolitain (REM) à Montréal a suscité une forte opposition citoyenne à la construction de projets résidentiels près des stations de banlieue. (Shutterstock)

De plus, notre zonage donne un pouvoir important aux individus et associations qui défendent le statu quo local. Il est donc prisé non seulement par les propriétaires immobiliers, dont il protège les investissements, mais aussi par les défenseurs de la démocratie locale, auxquels il offre un droit de parole qui constitue parfois un droit de véto dans les faits. Même si le zonage sert l’intérêt public, il rend plus difficile la planification rationnelle du développement urbain et régional en montant en épingle les conflits locaux sur des projets individuels.


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Une réforme peu utile à la réduction des coûts

Face à ce double problème, nombreux sont ceux, y compris le gouvernement du Canada, qui en appellent à une réforme du zonage dans son contenu et dans son processus.

Je n’ai aucun doute que certains changements sont nécessaires. Minimalement, la réforme du zonage devrait servir les objectifs suivants :

  • simplifier les règlements et accélérer l’émission de permis ;

  • permettre la construction d’unités secondaires ou de duplex dans des zones présentement réservées aux maisons unifamiliales ;

  • exiger des densités plus élevées dans tout corridor desservi par le transport en commun ;

  • réduire les exigences en matière de cases de stationnement ;

  • favoriser la mixité des usages ;

  • promouvoir la création d’un espace public de qualité ;

  • empêcher que de petits groupes de citoyens ne bloquent des projets d’intérêt public.

Des changements sont en cours en ce sens dans de nombreuses municipalités. Ils doivent être multipliés et généralisés.

Plusieurs bâtiments d’appartements modernes partageant un même espace
Une plus forte densité peut bien offrir un cadre de vie agréable. (Shutterstock)

La réforme du zonage, une fausse panacée

Cependant, je ne pense pas que la réforme du zonage soit le meilleur moyen de faire baisser le coût du logement et ce, pour quatre raisons.

Premièrement, dans les grandes villes, il y a généralement un grand potentiel de développement, mal utilisé, dans des zones résidentielles, commerciales et industrielles où les changements de zonages ne créeront pas de grandes controverses. Ces zones, qui sont déjà desservies par des infrastructures publiques, ainsi que les terrains publics fédéraux, provinciaux ou municipaux, doivent être redéveloppées en priorité.

Les zones commerciales offrent un énorme potentiel de redéveloppement. (Shutterstock)

Deuxièmement, le changement principal espéré – l’augmentation de la densité des projets – ne s’accompagne pas nécessairement d’une réduction des prix. Pour viser l’abordabilité, il faut généralement construire à de bonnes densités, mais avec des hauteurs de bâtiment moyennes.

Tours à condos modernes
Densité rime très rarement avec abordabilité. Nouvelles tours à condos près de la Place des Arts de Montréal. (Shutterstock)

Troisièmement, la hausse du prix du logement est due à bien d’autres raisons que des règlements de zonage inadéquats. Nommons en particulier la financiarisation du secteur du logement par de grands acteurs économiques, ainsi que la croissance rapide des coûts de construction et le manque de gains de productivité dans un secteur de la construction toujours très artisanal. Il faut contrer ces tendances en soutenant le secteur communautaire et ses acteurs à but non lucratif et en soutenant l’innovation technologique en matériaux, techniques et processus de construction.

Finalement, une réforme du zonage ne changera rien au fait que le logement normal actuel est simplement trop cher pour une partie de la population et que les ménages les plus démunis ne peuvent trouver à se loger décemment sans aide de l’État, comme je l’ai exposé dans un précédent article.


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Une crise multifactorielle

Il existe de nombreuses raisons légitimes de critiquer nos pratiques réglementaires en développement urbain. Cette critique est déjà vieille ; elle remonte aux années soixante (par exemple sous l’impulsion de Jane Jacobs).

Il est toutefois faux de penser qu’une réforme du zonage est la solution principale à la crise du logement qui sévit actuellement. Cette crise a des causes multiples et ne sera résolue que par des stratégies diverses. La simplification et l’allègement de la règlementation en sont une, mais un bien meilleur financement du secteur communautaire doit en être une autre.