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Gros plan d’une méduse d’eau douce dans l’ancienne carrière de Kahnawake, au Québec, en octobre 2024. (Christin Müller), Author provided (no reuse)

Vous avez vu une méduse près du quai ? Vous ne rêvez pas : elles sont de plus en plus nombreuses dans nos lacs

Ces dernières années, sachant que les lacs font partie de mon domaine de recherche, plusieurs personnes m’ont demandé si les méduses pouvaient vivre dans des lacs. Certaines ont pensé qu’elles avaient eu des visions, ou que leurs amis ou leur famille en avaient eu. J’ai même entendu parler de disputes conjugales à ce sujet !

Alors, y a-t-il les méduses dans les lacs canadiens ?


Nos lacs : leurs secrets, leurs défis, est une série produite par La Conversation/The Conversation.

Cet article fait partie de notre série Nos lacs : leurs secrets, leurs défis. Cet été, La Conversation vous propose une baignade fascinante dans nos lacs. Armés de leurs loupes, microscopes ou lunettes de plongée, nos scientifiques se penchent sur leur biodiversité, les processus qui s’y produisent et les enjeux auxquels ils font face. Ne manquez pas nos articles sur ces plans d’eau d’une richesse inouïe !


Des méduses sont bel et bien présentes dans nos lacs. Elles sont apparentées aux méduses d’eau salée (Cnidaria), mais sont beaucoup plus petites. Si de plus en plus de gens prennent soudain conscience de leur existence, c’est tout simplement parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses en raison des changements climatiques.

En bref, les méduses d’eau douce existent, et les Canadiens doivent s’habituer au fait qu’il y en aura de plus en plus dans nos lacs à mesure que la planète se réchauffe.

Hausse du nombre de Craspedacusta

À l’heure actuelle, on observe surtout le genre Craspedacusta dans de nombreuses régions du monde, y compris au Canada, l’espèce la plus courante étantCraspedacusta sowerbii. On l’appelle simplement « méduse d’eau douce » et, en anglais, peach blossom jellyfish.

Cette espèce a été décrite et nommée scientifiquement pour la première fois en 1880 aux Jardins botaniques royaux de Londres. Il s’agit d’une espèce introduite venant à l’origine de Chine et qu’on retrouve sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique.

Ces méduses ne nous piquent pas — il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter si on les rencontre en nageant. Elles mesurent de un à deux centimètres et demi de diamètre et sont habituellement transparentes. Elles peuvent être très abondantes au moment de leurs « éclosions », se comptant alors par centaines, voire par milliers. Cependant, ces éclosions ne durent généralement qu’une semaine ou deux — juste le temps nécessaire pour qu’elles puissent se reproduire sexuellement.


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Les méduses d’eau douce sont présentes depuis longtemps dans certains lacs du sud du Canada. À notre connaissance, la première observation a eu lieu dans un lac du Québec en 1938. Mais pourquoi n’en entend-on parler que maintenant ? On peut invoquer deux raisons principales.

Une petite méduse passe devant l’appareil photo
La méduse d’eau douce est présente au Canada depuis des décennies, mais la hausse des températures entraîne une augmentation de sa population. Photo d’une méduse d’eau douce dans l’ancienne carrière de Kahnawake, au Québec, prise en octobre 2024. (Christin Müller), Author provided (no reuse)

Une présence invisible

La méduse d’eau douce demeure la majeure partie de son cycle de vie sous la forme d’un minuscule polype mesurant de un à deux millimètres de long. Les méduses peuvent survivre pendant des années dans cette phase asexuée, se reproduisant par bourgeonnement.

Sous cette forme, elles sont fixées à la végétation, aux rochers et à d’autres surfaces près du fond des lacs et sont difficiles à voir. Elles se nourrissent d’organismes qui passent, principalement de petits crustacés appelés zooplancton, et en particulier de ceux qui vivent près des bords des lacs. Lorsque l’environnement se refroidit et que la nourriture est moins abondante, elles entrent dans une phase de dormance appelée podocyste.

Mais ce sont des méduses gélatineuses en forme de cloche, semblables aux créatures marines que nous connaissons tous (et que nous essayons d’éviter lorsque nous nageons), qui sont de plus en plus souvent observées. Pourquoi ?

La forme mature de la méduse d’eau douce n’apparaît que dans certaines conditions. Les températures chaudes semblent être un élément déclencheur essentiel. Lorsque la température de l’eau dépasse 25 °C, des méduses adultes peuvent subitement se manifester en grandes quantités.

L’espèce y vit déjà sous forme de polype, parfois depuis des années, et soudain des méduses à l’allure fantomatique apparaissent comme sorties de nulle part, formant d’abondantes proliférations dans un lac.

Un envahisseur invisible

On pense que la première apparition de la méduse de lac la plus commune provient de plantes chinoises importées dans les Jardins botaniques royaux ; des plantes auxquelles des polypes ou des podocystes auraient pu être fixés. C’est souvent ainsi que des espèces aquatiques envahissantes sont transportées un peu partout sur la planète.

Les déplacements et les migrations des oiseaux aquatiques peuvent aussi jouer un rôle dans la manière dont ces espèces voyagent entre les lacs et les continents. Plus localement, elles peuvent être répandues par des plaisanciers qui ne nettoient pas correctement leur équipement en changeant de plan d’eau. Des processus naturels sont également à l’œuvre, les polypes et les podocystes étant transportés par des animaux et les eaux qui s’écoulent d’un lac à un autre. Au fur et à mesure que de nouveaux lacs seront colonisés, les observations de méduses se multiplieront.

Une importante prolifération d’algues est observée dans l’eau à proximité d’une plage de sable
Prolifération d’algues près de la marina de Lindon sur le lac Utah à Lindon, en Utah, en juillet 2016. Bien qu’elles ne soient pas liées aux méduses, les proliférations algales peuvent aussi apparaître lorsque la température de l’eau s’accroît. (Rick Egan/The Salt Lake Tribune via AP)

Tel que mentionné précédemment, le réchauffement de l’eau semble être le principal déclencheur de la forme mature de la méduse d’eau douce. L’habitat d’origine de ces organismes est l’Asie tropicale et subtropicale. Par conséquent, à mesure que les changements climatiques réchauffent les eaux des lacs tempérés du nord, nous verrons davantage d’éclosions de méduses d’eau douce, et ces créatures pourront remonter de plus en plus vers le nord, comme l’a montré une récente modélisation.

Conséquences

Que se passera-t-il dans les réseaux trophiques des lacs lorsque la méduse apparaîtra plus souvent dans sa forme adulte, s’alimentant de plancton dans la colonne d’eau et non plus seulement près des bords du lac ? Cela demeure largement inconnu. Nous avons beaucoup à apprendre sur ces organismes et leurs effets, car ils sont complexes à étudier. Il est difficile de les cultiver en laboratoire, et nous ne pouvons prédire quand une prolifération se produira.

Des travaux de laboratoire ont montré que la forme mature peut consommer 16 fois plus de plancton que les polypes. On ignore encore si ce phénomène peut entraîner une perte de zooplancton lacustre significative, étant donné que les éclosions sont souvent de courte durée et que les taux de reproduction du zooplancton sont relativement élevés dans les eaux chaudes.

Le zooplancton est une proie importante pour certaines espèces de poissons, en particulier les juvéniles. Mais pour l’instant, la période où les eaux sont suffisamment chaudes pour produire des méduses matures (entre le milieu et la fin de l’été) et celle où l’on trouve de jeunes poissons (au début de l’été) ne coïncident pas. Il reste à voir si elles coïncideront davantage à mesure que le climat se réchauffera, car les espèces s’adapteront probablement à des rythmes différents.

Plus les eaux des lacs tempérés du nord demeureront chaudes longtemps, plus les méduses d’eau douce seront présentes dans le réseau alimentaire estival. Cela pourrait réduire la disponibilité des proies pour des espèces de poissons comme le cisco (Coregonus), dont le repas principal est constitué de zooplancton.

Par conséquent, avec les changements climatiques, on s’attend non seulement à voir de plus en plus de méduses d’eau douce, mais aussi à ce que leur incidence sur les réseaux alimentaires lacustres s’accroisse.

This article was originally published in English